Par Yoann CARDOT.
« Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. »
– Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942)
La question du sens est la question par excellence de l’humanité : la recherche de sens est en effet un besoin vital et insatiable de l’être humain. Elle n’est donc pas à prendre à la légère, car ses conséquences sont lourdes et profondes. Celle du sens du travail, en particulier, est à la fois ancienne et redoutable, puisque pour la plupart des individus, le travail occupe la majeure partie de leur vie.
Pour les organisations : un besoin vital et urgent
A l’heure où les Français affirment dans le même temps la haute importance de leur travail dans leur vie, tandis que 91% d’entre eux se disent désengagés dans leur travail (dont 26% de façon active !), le sens au travail s’avère être une problématique centrale, à même d’expliquer ce type de paradoxe aux conséquences massives.
En effet, il traverse en creux la majeure partie des sujets liés aux risques psychosociaux, à la Qualité de Vie au Travail, et à la Responsabilité Sociale des Entreprises : autonomie, relations humaines, charge et contenu du travail, engagement et motivation, équilibre vie privée – vie professionnelle, reconnaissance, person-organization fit, éthique… Il s’avère surtout être un facteur profond, qui invite à une réflexion et à des actions de fond, à l’inverse de la tentation d’opérer des aménagements « de surface ». Mais face à des enjeux aussi larges, les organisations ont beaucoup à gagner, si elles prennent à bras-le-corps la quête du sens !
La question du sens…a un triple sens !
Questionner le sens de son travail, c’est au fond se poser la question : « pourquoi ? ». Mais cette question est triple et peut renvoyer à trois interrogations différentes, bien que liées : « au nom de quoi ? », « qu’est-ce que ça signifie ? », et « dans quel but ? ».
1) Le sens axiologique
Il correspond à la cohérence des valeurs, c’est-à-dire le fondement éthique et moral de nos actions, et de ces dernières : « Dois-je renier mes valeurs à cause de mon travail ? Celui-ci a-t-il une utilité sociale ? Puis-je être fier de ce que j’accomplis, ou, au contraire, en avoir honte ? Puis-je trouver une justification à mon quotidien, ou, à l’inverse, dois-je me chercher des excuses ? »
2) Le sens sémantique
Cet axe renvoie quant à lui à la question de la signification perçue : «Est-ce que je comprends ce que je fais ? À quoi cela sert ? Puis-je l’inscrire dans une vision d’ensemble, qui comprend les tenants et aboutissants ? Dans le cas contraire, ai-je les moyens de rendre mon travail plus cohérent à mes yeux (autonomie, diversité des tâches…) ? »
3) Le sens téléologique
Cette dernière dimension correspond au sens compris comme direction, comme un panneau qui indique le « sens » de mon chemin : « Quel est le but que je cherche à atteindre, à travers mon travail ? Me permet-il de trouver ce que je suis venu y chercher ? Mes objectifs et ceux de l’entreprise peuvent-ils coïncider, ou sont-ils contradictoires ? »
Philosophe de formation avant de m’engager dans la voie de la psychologie, j’ai toujours été préoccupé par la question centrale du sens. Lorsque j’ai rencontré Xavier Moreno avant d’intégrer ses équipes, je me rappelle que cette question du sens trouvé au travail avait été directement posée : qu’est-ce qui ferait que moi, jeune psychologue, donnerais un sens à ma future activité de consultant ? Avais-je réfléchi à l’adéquation de mes valeurs à celles du cabinet ? A ce que j’avais compris du métier ? A mes objectifs de vie ? A un épanouissement général qui dépendrait de l’ensemble de ces réponses ?
Evidemment, j’avais une motivation extrinsèque à trouver un emploi, et une motivation intrinsèque à pratiquer l’évaluation des individus en situation de travail et à intervenir sur des missions variées, à haute valeur ajoutée. Ce qui répondait certes au sens « téléologique », mais pas encore à la question de mes valeurs ni de la compréhension profonde que je me faisais d’un tel rôle.
Il y avait donc bien, derrière ces questions, un sujet plus profond, celui de l’adéquation d’un être pris comme une totalité, dans ses valeurs, et dans ce qu’il comprend de sa place dans le monde. Je lui avais répondu que ce qui faisait sens, pour moi, était précisément d’apporter du sens dans le monde du travail, et de le questionner. Que je trouvais du sens dans mon activité… à travers celui que j’aidais à trouver pour les autres ! Que cela soit, par ailleurs, au niveau des individus ou au niveau des organisations.
Mais j’avais surtout compris que j’avais trouvé un cabinet mature, riche de plus de 50 ans d’existence et de retours d’expérience, et qui posait les bonnes questions. « Recruter juste » : cela nous parle de valeurs (la justice, l’équité), de compréhension (la justesse des choix, qui se justifient objectivement, qui s’argumentent), et de buts (et mieux encore, la rencontre de ceux d’un candidat et d’une organisation).